Le soleil pâle et déclinant de ce mois d'octobre semblait partager notre regret de ne pas avoir assisté à un spectacle cette semaine pour donner un peu de dynamisme au site. La peine était presque perdue, puisque le dimanche les salles sont closes. Enfin pour la plupart ! Et oui, ce susdit soir du 9 octobre, à la Comédie de Grenoble, Julie Krief et Julien Sigalas proposaient leur création en tournée depuis 2014 : L'amour est dans le presque. Quelle bonne idée ! Rien de mieux qu'un théâtre de boulevard pour combattre les morosités d'un automne annonçant bien trop vite les grisailles de l'hiver.
Comme l'indique son nom, L'amour est dans le presque c'est presque L'amour est dans le pré, l'émission de M6 présentée par Karine Lemarchand, où des agriculteurs célibataires cherchent l'âme sœur. On ne présente plus le programme. Avec sa onzième saison il vole déjà un cinquième des parts d'audiences aux chaînes concurrentes. Pour ce format sur les planches, l'on suit Ondine Marvecholles, riche propriétaire mais novice dans les choses de l'amour, et pour la séduire : Kévin, un beau parleur quarantenaire en quête de bons investissements, et Patrick, un crétin des Alpes comme il se doit, amoureux des vaches et d'une douteuse poésie.
Longtemps la comédie était une branche triviale du théâtre. Le rire, exultation plébéienne, ne pouvait être expression de la sublimation artistique ! Cette époque est révolue, la comédie a acquis avec le temps ses lettres de noblesses et le théâtre de boulevard et même le vaudeville ont su faire leurs preuves.
En réalité faire rire n'est pas réellement chose aisée. Il faut plus qu'une lecture de blagues Carambar. Il faut des calambours élaborés, les jeux de mots entre « gay » et « gai » sont bien trop surfaits. Il faut aussi savoir apporter du sens aux éléments, sinon les costumes et les grimaces avilissantes chutent dans la moquerie et jouent une part belle aux stéréotypes et aux caricatures discriminantes. Et que dire des comparaisons sexuelles grossières sur les pies d'une vache ?
Il résulte de toutes ces maladresses et facilités, issues de la représentation, un texte rudimentaire, un peu comme si la période d'écriture avait été bâclée. Les dialogues sont plats et le phrasé parlé n'apporte que l'approximation et l'ineptie induites par l'oral. Ce défaut de recherche textuelle culmine dans les deux chansons, où la guitare terriblement amateur n'arrive pas à couvrir les efforts vains des rimes insuffisant à déclencher un rire généreux du public.
Il y a dans la pièce, peut-être involontairement, l'amorce d'une critique de la société télévisuelle, ce monde où les chaînes de production vendent des programmations stupides et crapuleuses en exploitant l'ingénuité d'un spectateur absent, passif, voire ignorant. Le ridicule est devenu un argument de vente, les émissions font l'éloge de l'idiotie, l'on ne parvient plus à distinguer le vrai du faux dans une escroquerie triomphante. Cependant, cette lecture, peu originale mais intéressante, s'écharpe dans un spectacle où l'on sert le même produit à l'assistance. A moins qu'il ne s'agît ici d'une facétie de l'auteur, d'une mise en abîme délibérée, d'une réflexion subliminale, d'une falsification illustratrice à la Fontcuberta…
Si le cœur vous en dit, vous avez jusqu'au 23 octobre pour vous faire votre avis et vivre l'expérience !
L'embarras…
Quelle drôle de sensation, ce frétillement désagréable qui vous jette du rose des joues jusqu'au front, qui écarquille les yeux jusqu'à vous faire percevoir l'ensemble du monde environnant pour mieux en saisir la distance, qui donne au cerveau un grain infini à moudre comme autant de perles sur un chapelet.
Tout ça pour un simple excès d'assurance subitement démoli par une froide réalité, par une acide lucidité. Allez, la sensation est fugace et puis on nous l'a assez répété : « Le ridicule ne tue pas ! » Je préfère ça à voir la froide réalité et l'acide lucidité se répandre car rien ne saurait s'y opposer.
Non, ce qu'il y a d'extraordinaire dans l'embarras, c'est quand celui-ci se conjugue à l'ineffable empathie de l'être humain. Elle lui sert de canal, de vecteur. Alors l'embarras, par une translation quasi mathématique, passe de la victime de l'évènement au spectateur de l'événement. Soudainement, c'est à ce nouvel individu de ressentir les effets piquants de cette émotion étrangère. Il commence à rougir, se fait plus petit, discret, regarde autour lui anxieusement mais ne comprend pas vraiment pourquoi, son esprit se tord sous des sentiments de honte qui ne lui appartiennent pas et pourtant si vifs. Un tel soutien, une telle solidarité, un tel sacrifice, c'est émouvant.
Au final, être gêné pour les autres, c'est désagréable, un peu vain et ça passe souvent inaperçu ; mais qu'est-ce que c'est beau !
T. COPIN