Papier personnel

publié le 16/06/2016

Joli poing de vue

Théâtre
[sə] [ki] [rɛst]
Le 16 juin 2016
A l'Espace Culturel René Proby

Il est exercice toujours intéressant de confronter l'avant et l'après spectacle ! Dans le cadre d'une chronique sur Radio Malherbe Grenoble, nous avions rencontré la compagnie Le Contre poinG. Aurélie Derbier, auteur et metteur en scène, aux côtés de Clotilde Sandri et Margaux Lavis, deux comédiennes, nous avait parlé d'un théâtre sensitif, après les vingt premières minutes narratives permettant d'installer la situation. Pendant une soirée, Il, le compagnon d'Elle, se suicide… après, après… après tout se confond, tout se fond, tout se dissout dans l'acide de la douleur. Ce qui reste à ceux qui restent : « des flashs, des sensations, des bribes, des sons, des images, des odeurs » ; plus de chronologie, juste des chorégraphies, du visuel, de l'humour, absurde cynisme. La volonté est celle de retrouver un jeu dans la vérité de l'instant, de balayer le carcan du texte pour ne laisser qu'un canevas à l'acteur afin qu'il puisse vivre ces émotions selon sa propre intimité.

Et alors que reste-t-il de ça dans [sə] [ki] [rɛst] ? Cette nouvelle création professionnelle est finalement présentée à l'Espace Culturel René Proby du 16 au 18 juin, après deux périodes de résidence, l'une en novembre dernier au Théâtre Municipal de Grenoble et l'autre en mai au Théâtre des peupliers.

Note d'intention respectée

Après le drame, Elle, au centre de la pièce est emportée dans une série de tableaux sans transitions. S'enchaînent sans discontinuer des souvenirs, des questions, des projections, présentées par un chœur d'acteurs aux travers des peaux de 42 personnages. Sans aucune sortie de scène, ce numéro à la Brachetti, puisque les comédiens se changent directement sur le plateau, s'étend sur un rythme plus lent qu'on ne s'attendait. Ce n'est peut-être pas un mal. Parallèlement, nous avons compté une seule chorégraphie, admirable, portée par une création musicale tout aussi formidable. Si le nombre de danses n'est pas vraiment au rendez-vous, l'expression corporelle reste un élément structurel à la mise en scène.

Splendide mise en scène

Judicieuses, précises, pensées, les trouvailles scéniques sont nombreuses et subliment le spectacle. Malgré un décor plus fonctionnel qu'esthétique, les tableaux sont beaux, comme la scène d'amour, l'annonce mère-fille ou encore les deux planètes qui s'attirent. Cette scénographie soutient le texte, ce dernier pêche par son style et traite le sujet sous un angle particulier. Sans jamais franchir les barrières de l'intimisme, Aurélie Derbier exploite ce sujet universel par des ressentis personnels, qu'il serait mal venu de juger. Cependant on explore toutes les facettes de « Il », face à une « Elle » effacée, si bien qu'on se demande si le personnage principal n'est pas le défunt et si au fond le sujet de la pièce ne serait pas le deuil, mais plutôt le suicide.

Au premier abord le thème a de quoi refroidir, mais de par son esthétisme, son point de vue et son originalité le spectacle s'avère agréable à regarder. L'humour, ce rythme si particulier, la prestation notable et chaleureuse de quelques comédiens, ont de quoi séduire les spectateurs.



Peut-être est-ce par mégalomanie ou simplement parce que je ne saurais l'exprimer autrement, tant pis, je me cite quand même !

Tout deuil n'est qu'une question de temps.

« Le pire moment, c'est le matin. Quand l'esprit émerge à regret d'une mauvaise nuit, la douleur se fait pénétrante ou bien est-ce le corps qui est plus friable ?

C'est une douleur compulsive et convulsive. Une décharge électrique qui contracte tous les tissus humains. Cette douleur, je me l'inflige moi-même. Aucune blessure, aucune hémorragie, ce ne sont que de pures métaphores. Non, en réalité c'est une simple secousse menée par mon cerveau sur le reste du corps. Celui-ci, touché dans la fibre, se recroqueville, se comprime, se presse et laisse échapper les larmes et les soupirs en des cris étouffés ou des sanglots. Ces crises, comme des électrochocs, ne durent qu'une vingtaine de minutes. Ensuite le corps épuisé demande grâce à coups d'endorphines. Clément, le cerveau accorde alors une trêve et las, je m'endors.

Je suspecte un instinct de survie à l'origine de ce cycle effréné proche de l'ivresse. Le cocktail chimique des hormones dilue le temps jusqu'à la dissolution totale, c'est à peine si je vois la nuit succéder à la nuit. En effet, voilà trois jours seulement depuis son départ et mon unique et dernier repère reste les mots que je dépose sur ces pages marquées d'une date. Mais je commence à comprendre le manège, j'entrevois où mon corps veut en venir. Le temps qui passe se rythme en fait sur cette nouvelle régularité, ce quotidien répétitif, quasi rituel. Alors rassuré par cette horloge qui flirte avec l'harmonie métrique, mon psychisme apaise les angoisses nées du chaos que tu as laissé et instaure un nouveau sens à ce qui m'était absurde encore hier. »


T. COPIN


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