Papier personnel

publié le 11/03/2016

Magicalement vôtre

Théâtre - Magie
Qui-Vive
Le 10 mars 2016
A l'Hexagone

Ce 8 et 9 mars, l'Hexagone, scène nationale de Meylan, accueillait Qui-Vive, une représentation où s'entremêle prestidigitation et théâtre. Pensé par Thierry Collet, le spectacle se veut une réflexion sur la pratique de la magie. En éprouvant leurs techniques les trois illusionnistes mettent en évidence l'usurpation de la société contemporaine et nous sommes invités à rester sur le « qui-vive » parce que « l'illusion n'est pas dans les mains du magicien, mais dans le cerveau de la personne qui regarde ».

Après un panorama didactique sur quelques notions de base du détournement d'attention nécessaire à l'escamotage de pièces ou de balles sous des gobelets, les tours s'enchaînent : de la divination, perçant l'intimité du public, à la manipulation mentale, en passant par la confusion sensorielle et l'évocation de l'altération de la perspective, le trio met en scène avec humour un ensemble de trucages pour nous tromper avec une amusante facilité.

Thierry Collet le concepteur et Eric Didry le metteur en scène cherchent à réveiller la vigilance du spectateur, car tous ces tours de passe-passe dépassent largement l'enceinte de la salle, ce sont en réalité des armes politiques et publicitaires. Sous la bienveillance de ces maîtres du bluff, la magie devient une stimulation, une piqûre de rappel, pour ne pas nous laisser aller à nos faiblesses qui font la part belle aux magnats de ce monde aux sombres desseins.

L'approche théorique est intéressante : en dévoilant certains mystères, l'illusion devient supercherie et donc réalité ; donc les numéros suivants, plus troublants, s'avèrent inquiétants, si l'on considère qu'ils peuvent se produire dans notre quotidien. Néanmoins, l'ensemble manque de sensations et l'impact désiré s'étiole. Effectivement l'on attend davantage de trois magiciens professionnels sur une scène nationale ! D'autre part, les corrélations avec la société contemporaine sont à peine évoquées, on a noté une référence directe aux médias et leur contenu ainsi qu'une phrase piquante sur la politique, mais l'argumentation se dégonfle par une absence de contenu.

Toutefois il faut saluer la recherche théâtrale dans ce spectacle. Bien qu'il n'y ait pas de cadre dramaturgique, la performance des trois acteurs, car il s'agit d'acteurs à ce titre-là, est remarquable. Le jeu lent et sobre gagne en pertinence et en efficacité, en effet le monologue de Thierry Collet sur l'anecdote de l'aiguille prend une épaisseur malgré l'absence de personnage et de mise en scène. La maîtrise des improvisations lors des interactions avec le public est elle aussi notable. Mais une fois de plus les papiers descriptifs des avant-spectacles de l'Hexagone dépassent la qualité de la représentation.



En sortant du théâtre je me questionne sur la pertinence des spectacles proposés par une scène nationale. Je ne me permettrais pas de juger l'entière programmation de l'Hexagone, ce n'est que la troisième pièce que je vois, insuffisant pour critiquer qualité de la salle, mais assez pour éveiller en moi des interrogations. Le spectacle vivant serait-il lui aussi victime d'un marché ?

Il y a dans l'art dit plastique une spéculation qui donne une valeur aux œuvres indépendamment de sa qualité. Cela est rendu possible par le mécénat et l'investissement de grands entrepreneurs. L'achat de collection entière, la revente, l'inondation ou la raréfaction, influe sur le prix des œuvres et donc sur leur notoriété. Ce commerce nécessite une possession physique apparemment incompatible avec le spectacle vivant, à moins que les résidences d'artiste mènent à une certaine forme de collection et de spéculation.

Monter un spectacle réclame beaucoup d'argent. Afin de soutenir la création le gouvernement a légiféré sur la résidence d'artiste. Un contrat doit être passé entre un artiste et un responsable de résidence, il est stipulé que l'artiste reste le propriétaire exclusif de l'œuvre, excepté si le responsable de résidence devient producteur ou coproducteur, auquel cas il peut lui aussi obtenir une rémunération pour certaines exploitations effectuées par des tiers. Cela semble tout à fait normal, car je le répète monter un spectacle réclame beaucoup d'argent, il est donc difficile pour un mécène/responsable de résidence d'injecter une forte somme sans attendre de bénéfices.

Néanmoins il y a ici l'apparition d'un marché potentiel, à l'image de celui de l'art, pouvant porter atteinte à la qualité des œuvres, puisque faire tourner un spectacle produit ou coproduit, que celui-ci soit bon ou mauvais, permettrait de le rentabiliser. La programmation des salles serait-elle victime de cette nécessité de placement ? Il y a matière à réfléchir, d'autant plus après un spectacle appelant à la vigilance…


T. COPIN


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