Papier personnel

publié le 05/10/2016

Du théâtre dans le théâtre

Théâtre
Pourvu qu'il nous arrive quelque chose...
Par la Cie Le Chat du désert
Le 05 septembre 2016
A l'Amphidice

Un spectacle de théâtre qui parle du théâtre, que demander de mieux pour commencer cette nouvelle saison sur Théâtr'In'Grenoble ? Ce mercredi 28 septembre 2016 à l'Amphidice, la compagnie Le Chat du désert jouait Pourvu qu'il nous arrive quelque chose... A ce qu'on a entendu dire, c'était la centième représentation ! Créé en 2011, la pièce est une adaptation pour la scène du Petit lexique amoureux du théâtre de Philippe Torreton. Dans un monologue personnel, gonflé de l'humour et des curiosités du livre, Grégory Faive parle de son travail, empruntant pour la forme, quelques mots à Shakespeare et Racine, à Jean-Luc Lagarce et même à Muriel Robin ou Raymond Devos.

Seul sur scène, l'acteur a oublié son texte. Les premiers mots, les premiers sons, les premiers gestes, cette amorce essentielle, cet incipit initiant l'inertie ; rien à faire, rien ne vient. Dans cet espace vide où le temps est absent, il se livre alors à quelques confidences. Porté par ce « besoin de parler » qui l'a fait monter sur les planches, il cherche à expliquer, à transmettre, à partager, sa passion pour son métier, jusqu'à disséquer le spectacle de théâtre et le théâtre lui-même. Le stress, le noir, le silence, la mémoire, les acteurs, la langue, les metteurs en scène, le public… tout passe au crible de l'œil ironique, éprouvé et enthousiaste du comédien se livrant à un drôle de one-man-show.

Un captivant conteur

Parler pendant une heure et demie du même sujet est une ambitieuse entreprise, et pourtant l'ensemble n'affiche aucune longueur. Pesée avec parcimonie, l'énergie, dont il expliquera à un moment les mécanismes, l'essence et l'importance, est totalement maîtrisée. Grégory Faive ne cède à aucune exubérance, au contraire, avec une ferme discrétion il nous emmène où il veut. Même constat pour sa voix ronde et mesurée. Pas d'éclat impromptu, pas de rire incitatif, pas d'effet forcé, la diction assujettie au rythme, fait couler le texte avec aisance, sans accroc, délicat.

En fait, si la forme ressemble au stand-up le fond n'y corrobore pas complétement, ici l'objectif n'est pas seulement de rire. Le texte, bien écrit, défend une prose fluide et légère, nimbée d'une prégnante poésie. Sans grandiloquence elle polit le sujet parfois scolaire et permet une représentation simple et efficace, sans artifice scénique, ponctuée par moment d'un phrasé beau à écouter.

Tout en pédagogie

On est peu surpris d'avoir vu prendre place dans les fauteuils autant d'étudiants en Art du spectacle. Au-delà du fait que la salle se trouve au sein de l'université, la pièce propose foncièrement un cours d'une heure et demie sur le théâtre. On apprend l'origine des trois coups, on découvre un lexique riche et singulier, on comprend les difficultés d'apprentissage ou de création, le tout agrémenté de quelques superstitions, encore si présentes, et d'anecdotes amusantes. Ce panorama vaste et étoffé est allégé par le vécu, l'expérience et la ferveur viscérale du comédien, nous offrant ainsi une soirée instructive et ludique.

Si, la rumeur de la centième s'avèrerait erronée, on leur souhaite de l'atteindre au plus tôt. Et ce ne saurait tarder, six dates supplémentaires sont d'ores et déjà programmées, en tournée dans diverses salles iséroises, pour la saison en cours.



Dans les ténèbres de la salle mon stylo peine à trouver la feuille. J'écris d'une ligne maladroite, un peu cassée et chancelante que le théâtre est fait : « pour éclairer le monde et vous indiquer l'interrupteur ». Les mots déposés sur le papier diffèrent peut-être un peu de ceux prononcés sur la scène, ils ont probablement perdu un peu d'envergure en vol. Mais s'ils ont laissé quelques plumes, ils ont sauvegardé leur sens lumineux.

Aujourd'hui, ils me font dire que le moteur de la création réside dans cet objectif absolu de vision. L'envie insatiable d'ouvrir les yeux, de regarder, de chercher à voir, de percer le rideau. Et même si c'est un besoin de parler qui pousse l'acteur sur les planches, l'auteur à la page ou l'artiste dans l'atelier, cette nécessité prend naissance dans l'acte nourricier de regarder, de porter l'œil au-delà, pour seulement après, s'étendre et s'exprimer en un désir de partage.

Et si l'art est lumière, il n'est pas simple projecteur. L'important n'est pas l'objet miré : fausse vérité absolue, morale personnelle réactionnaire ou novatrice, critique acérée munie des crocs fichés par la peur ; non l'important réside dans l'acquisition du regard, dans son apprentissage. A l'image de l'entente et de l'écoute, je préfère arrêter de voir pour commencer à regarder.

Mais la volonté ne fait pas tout, la création n'a de consistance que dans la reconnaissance. Il ne s'agit pas d'une quête de célébrité. Par une simple réception, l'œuvre acquiert du crédit, une existence, justifiant ainsi son sens et sa raison d'être. Que resterait-il de cette phrase volée envolée du spectacle si le « Vous » disparaissait ? L'œuvre, et par métonymie le théâtre, a tout autant besoin de son artiste que de son public.


T. COPIN



Autres Articles-Allez à l'accueil

Articles Théâtr'In'GrenobleAccueil Théâtr'In'Grenoble
Téléchargez en format PDF