Papier personnel

publié le 01/05/2016

L'homme de papier

Théâtre
Noces de sable
Le 01 mai 2016
Au Petit Théâtre

Monter une pièce, répéter, démarcher, mettre en scène, est un travail lourd et long. C'est pourquoi voir des troupes d'amateurs se produire dans une salle de spectacle provoque toujours une certaine satisfaction. Comme il est difficile pour les compagnies professionnelles de s'insérer dans ce dense réseau, il l'est aussi pour les novices. Téméraire et déterminé, il faut démontrer un engouement, une force de volonté et un désir indéboulonnable pour en venir à bout ; mais la toute jeune STEF compagnie l'a fait. Elle nous a présenté sa deuxième création au Petit Théâtre les deux derniers jours de ce weekend chômé du 1er mai. Mis en scène par Sylvie Cleyet, le texte de Didier van Cauwelaert, Noces de sable réunit Isabelle Caillard et Thierry Cros. Ils ne sont pas à leur première expérience. Les deux acteurs nous viennent de deux compagnies Iséroises, Les Chats Garous et Contrebande, et une partie de la troupe est également composante du noyau organisationnel des Tréteaux de Voiron, un festival en soutien au théâtre amateur, fin septembre.

L'océan, le sable, un couple

Le texte de Didier van Cauwelaert, de 1995, est une prose profonde où se joue la reconstruction de deux êtres fragmentés par le désagrègement de leur couple. Ruinés sur le plan moral et physique, Sylvie Janin, une romancière en perte d'inspiration depuis le départ de son homme, et Bruno, mari esclave des tromperies et des absences de sa femme, vont apprendre à rebâtir à partir des décombres grâce à un jeu pervers de création. Elle l'embauche officiellement comme jardinier pour sa maison côtière, mais en réalité elle espère s'en servir de muse, il accepte le contrat pour se remettre à flot, mais va vite découvrir une nouvelle façon d'exister.

Sur un fond de réflexion littéraire, avec tout ce qu'elle implique, manipulation du réel, force créatrice et vampirisme destructeur, Didier van Cauwelaert dissèque les structures humaines et met en évidence ce qui nous forme, nous nourrit et nous asservit. Aussi bien reconnu dans le milieu romanesque que théâtrale, l'auteur s'est vu remettre de nombreux prix, notamment le Goncourt et l'Académie Française.

Un projet à soutenir et développer

Le choix de la pièce n'est donc pas le plus aisé, l'humour froid et le réalisme muséographique de l'écrivain est une matière difficile à faire briller. Très représentative la mise en scène développe la sobriété et le pragmatisme de l'accessoire scénique, une intention dans le respect du naturalisme de l'œuvre. Si le jeu modeste et atone de ces acteurs de bonne volonté écorche par endroit le naturel, l'exercice et la récitation sont menés à bien avec rigueur. Le contraste entre les deux personnages est intéressant, Thierry Cros se confronte avec vitalité et énergie à l'attitude plus intérieure et évasive d'Isabelle Caillard. Toutefois, il serait judicieux pour compenser les maladresses du théâtre amateur d'user davantage de scénographie et de tableaux pour étayer le message, de développer une activité scénique afin de soutenir la présence et de penser un comique indépendamment du texte.

Pour sa première représentation, Noces de sable fait resurgir un texte riche et contemporain. Cette jeune compagnie a su en tirer ses avantages et cheminant sur cette bonne voie elle promet un spectacle notable et amusant. L'on est curieux d'en voir le résultat à la prochaine représentation qui, espérons-le pour eux, sera bientôt.



Assis dans le public, un malaise m'est survenu. Je voyais dans cette romancière, dont l'existence se bornait à une relation amoureuse, complètement dépendante de l'homme dans l'exercice de son art, soumise et aculée, une représentation sexiste de la femme. Ce n'est certainement pas le fond de la pièce, bien au contraire, la psychologie est précise et liée à la personnalité du personnage. Néanmoins étant l'unique femme de l'œuvre, en face de l'unique homme présent, le tableau avait quelque chose de dualiste et universalisant.

Me résonnait en fond ma véhémence encore fraîche d'une heure à peine. Podcast, RTL, Les Grosses Têtes, un homme fait la promotion de son livre : Immersion en misogynie de Martin Monestier. Dans l'interview téléphonique il confie : « Je suis très misogyne, mais il faut savoir que les misogynes ne sont pas comme les misanthropes, le misogyne aime fréquenter les femmes ». A quel prix pour ces dernières ! J'épargne des digressions tenues par la suite sur la vénalité des femmes, qu'il admet, grand seigneur, nuancée pour certaine.

Je regrette dans une émission que je respecte cette banalisation du discours misogyne. Les protestations ont tardé à venir et trop peu partagées. Alors certes « ce n'est pas un livre à charge, c'est un témoignage ». A ce titre-là, l'ouvrage n'est peut-être pas sans valeur. Cependant l'orientation prise par l'auteur et par la maison d'édition dans la quatrième de couverture présentée sur leur site est édifiante. La misogynie reste un trait de caractère à tendance raciste et discriminatoire, portée à l'extrême elle divise. En cautionnant, relayant ou ignorant, des faits de langage et des propos voilés, l'on participe à l'enracinement du sexisme dans notre société passive. A défaut, ce livre a le mérite de le révéler !

Je n'inculpe personne de misogynie outrancière, excepté peut-être l'auteur de ce livre douteux, mais j'accuse notre torpeur et notre indulgence inconsciente. Il y a de nos jours un manque cruel de prises de position, d'opinions et d'actions par simple faiblesse, fatigue, lassitude ! Réveillons-nous, parlons !


T. COPIN


Autres Articles-Allez à l'accueil

Articles Théâtr'In'GrenobleAccueil Théâtr'In'Grenoble
Téléchargez en format PDF