Papier personnel

publié le 03/04/2016

Musée de l'homme

Théâtre
Modèle Vivant
Le 31 mars 2016
Au Nouveau Théâtre Sainte-Maire-d'en-bas

Vous vous croyez devant un tableau ? Ou bien, peut-être, est-ce vous le tableau ? Qui regarde qui ? Etes-vous ce modèle, apparemment vivant, que la comédienne scrute et essaie de comprendre, ou bien est-ce elle, dont vous détaillez les gestes, les mots, le visage. Ainsi s'ouvre au Nouveau Théâtre Sainte-Marie-d'en-bas la nouvelle création de Pascale Henry, intitulée Modèle Vivant. Il s'agit d'une ébauche, un prélude à Présence(s), un projet plus grand cherchant à répondre à « la pression du monde », « à ce fond de l'air inquiétant, violent qui submerge nos sociétés ».

La pièce se compose d'une unique scène où une femme s'expose sous la lumière glaçante d'une muséographie. Une voix hors-champ agit comme un rayon X sur sa vie : « Elle s'appelle Françoise, elle est française, elle fait des ménages… » En réalité, elle est surtout en train de perdre pied dans son quotidien. Un fléchissement provoqué par la fatigue, tremplin des assauts du monde. L'actualité, l'argent, les gens, la famille, toutes ces pressions énergivores étouffent ! Alors, quand s'installent l'incompréhension, les doutes, les angoisses, la paranoïa, une question émane avant l'engloutissement total : comment résister ?

La plume de Pascale Henry est remarquable. Fluide et lancinante, l'écriture aligne les mots avec parcimonie, l'harmonie sonore luit de cet amas de paroles, la texture du texte est souple, poésie ; même si cette façon d'écrire frôle, peut-être, sur le long terme, la répétition. Le jeu troublant de l'actrice, Marie-Sohna Condé, sublime cette prose et réfracte les émotions d'un personnage pétri d'anonymat, d'autant plus dans cette mise en scène, épurée et aseptisée, comme une salle blanche de dissection. Cette scénographie juste et intéressante amplifie le point de confusion du qui regarde qui ?, ajoutant à la pièce une lecture réflexive bien qu'elle s'étiole malheureusement au fil du spectacle.

Cette réalisation annonce un futur projet potentiellement intéressant, si les intentions de la pièce parviennent à s'affirmer. Effectivement, les objectifs de l'auteur ne se discernent pas avec évidence, surtout que la conclusion de la pièce, légère et naïve, agit comme un coup d'éponge sur le spectacle. L'ensemble, dont l'aspect très contemporain donne une place importante à la lecture et exalte l'ambiance minimaliste, joue également avec l'impact sur le public, au risque de perdre une partie du spectatorat.

Néanmoins, le théâtre de Pascale Henry reste une œuvre agréable et pleine de poésie, s'avérant, malgré un engagement faible, ou disons plutôt dissimulé, un théâtre qui nous parle bien d'aujourd'hui.



Dans l'édito j'annonçais avec ambition la construction systématique de mes articles : description – explication – opinion – réflexion. Quelle fougue ! Quelle jeunesse ! Quelle naïveté ! Me voilà confronter au deuxième spectacle après lequel je ne sais pas quoi penser, après lequel je ne pense pas ! Encore, j'ai su tricher la première fois en rangeant la critique dans une catégorie d'ouverture. Après tout je ne m'y connaissais pas assez en danse pour ouvrir mon texte sur des réflexions métaphysiques ! Excuse inconséquente, il est vrai…

Alors je m'interroge : Que se passe-t-il ? Est-ce le spectacle qui n'apporte pas de grain à moudre à la minoterie diabolique de mon cerveau vorace ? Est-ce la fatigue d'une dizaine d'articles déjà écrits qui ont tari la source inépuisable d'un esprit curieux ? Sommes-nous menés à ne plus penser parce que le monde nous pique l'énergie pour l'utiliser ailleurs ? Ou simplement parce que la remise en question a des limites ? Je continue de me demander et je m'inquiète.

Ma tentative de réponse tombe sans doute dans une ingénuité veule, après tout, n'est pas philosophe qui veut, car j'accuse le tout. Le spectacle, le monde, la fatigue, moi… Peu importe ! Quelle que soit la cause je refuse de céder au silence, malgré le confort du repos qu'il a la ruse d'offrir. Il ne peut y avoir de d'inertie sans poussée ! L'art beau, c'est sympa, mais ce n'est bon que pour les investisseurs. S'il ne peut faire naître une étincelle pour allumer la machine spirituelle, à quelle avancée contribue-t-il ?

Alors quand bien même je sortirai d'un spectacle cause de la ligne horizontale, ligne de fuite, du moniteur silencieux témoignant de mon électrocardiogramme intellectuel, je continuerai à pousser, forcer, créer à partir de rien, une réflexion même si celle-ci soit d'essouffler par manque de matière, ou s'effondrer sur elle-même. Après tout, ainsi naissent les étoiles !


T. COPIN


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