Billet d'ouverture

publié le 10/03/2016

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Cirque
Minuit
Tentatives d'approches d'un point de suspension
Le 02 mars 2016
A l'Odyssée

« Suspension : subst. fém. Action de suspendre quelque chose/quelqu'un, de se suspendre ; résultat de cette action. La vertigineuse horreur de la chute mêlée d'attirance qu'inspire la suspension au-dessus d'un gouffre (Gautier, Fracasse, 1863, p. 414). [...]

Point de suspension. Point fixe auquel un corps est suspendu, autour duquel il peut se mouvoir mais sans l'abandonner. »

Mais quand il n'y a pas de gouffre, d'où vient le vertige ? D'où vient l'attirance ? Sûrement dans le vide que laisse le temps suspendu par un subtil équilibre des forces, alors dans l'espace de cet instant à l'arrêt se glisse la fumée trouble de l'incroyable, de l'impalpable, les repères se perdent et l'on tombe dans une nouvelle dimension fantastique, un milieu liquide et spatiale aussi intriguant qu'effrayant.

Yoann Bourgeois est un nom à connaître et pour cause, codirecteur, depuis ce début d'année, du Centre Chorégraphique National de Grenoble, aux côtés de Rachid Ouramdane, il a su, du haut de ses 28 ans, s'imposer dans le monde du cirque et du spectacle. Le 2 mars il a présenté à l'Odyssée Minuit, tentatives d'approches d'un point de suspension, où il reprend différentes créations réunies dans une quête infinie de l'absolu, cet espoir fou de se décrocher du sol en s'accrochant au ciel, pour atteindre la vérité totale, logée au cœur du présent, insaisissable.

Les numéros alternent les disciplines : jonglerie, équilibre, chorégraphie dramaturgique, trampoline ; mais tous explorent la recherche d'une nouvelle gravité, d'une autre temporalité, d'un changement de spatialité. Alors on décompose les corps, les objets, on décompose le rythme et le mouvement, on décompose la musique interprétée gracieusement par Laure Brisa et lorsque tout n'est plus que fractions le rapport des forces émerge. La maîtrise exquise de cet équilibre rend l'impossible possible, le corps n'a plus de poids ni de légèreté, il nage dans l'air, il oscille, s'envole, se détache et revient, de nouveaux volumes apparaissent, de nouvelles perspectives, de nouveaux périmètres tous habituellement niés par les lois irréfutables de la physique ou de la raison.

L'ensemble est d'une beauté et d'une poésie saisissante. J'observe un attachement particulier pour le numéro de jonglerie de Jörg Müller où la maîtrise des mouvements mobiles réinvente la chorégraphie mystique des éléments, le tube de métal devient souplesse, le carillon, gravitation. Entre rapidité et précision, langueur et recherche musicale, le rythme s'inscrit dans l'espace par la grâce de l'objet en suspension ; mais surtout je salue la performance irréelle de Yoann Bourgeois dans la fugue. L'illusion est parfaite : le temps n'est pour lui qu'une matière molle et malléable.

Minuit, quand les heures s'annulent vers un autre jour, quand la nuit suspend à la voûte stellaires nos espoirs, nos rêves, nos idéaux, quand s'achève cette course folle après l'amour, après l'art et l'absolu, le rideau tombe mais la magie perdure.


T. COPIN


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