Papier personnel

publié le 02/07/2016
mis à jour le 04/07/2016

Origami

Théâtre
Le Royaume de Papier
Le 29 juin 2016
Au Petit 38

On pourrait croire à un hommage à Régine lorsqu'on rentre dans la salle où toutes sortes de feuilles jonchent sol, tables et bancs, comme si un vent terrible avait soufflé des piles de pages blanches tachées de mots, de peintures, de traits, de cartographies... Précautionneux, l'on fait attention où l'on met les pieds en se demandant si c'est l'abondance ou l'abandon qui les a placées là, pour nous donner un avant-goût du Royaume de Papier, la dernière création de trois membres du collectif d'artistes Le Festin des Idiots. Le texte écrit à six mains et interprété par Elisa Bernard, Fantin Curtet et Tom Porcher-Guinet propose une fable historico-politique du 29 juin au 3 juillet 2016 au Petit 38.

Le synopsis est plutôt simple : un panorama épuré de l'histoire de l'humanité avec comme point focal, vous l'aurez compris, le papier. L'aspect synthétique poussé à son maximum décompose la construction de notre civilisation selon un jeu triangulaire entre trois personnages symboliques : le pouvoir ambitieux, l'ennemi belligérant et le peuple serviteur. L'évolution de leurs rapports s'érige sur l'invention du papier, et par là-même de l'écriture.

« Qui a le pouvoir a le papier et qui a le papier a le pouvoir »

L'essence de la pièce est cette réflexion sur le concept de l'écriture et du papier et elle est foncièrement intéressante. D'une part elle aborde le sujet sous tous les angles, le texte nous parle de métaphysique en sondant la force de création des écrits, mais aussi de philosophie et de justice en questionnant l'équité de cette invention conventionnelle. Le contrat, le titre de propriété, la signature sont passés au crible, tout autant que le papier-monnaie avec une caricature de la finance ou les papiers médiatiques lorsque les jeunes auteurs s'amusent à détourner le « Dauphinus ».

Il n'y a pas de point de vue tranché. S'il y a quelques critiques, simplistes et rapides, elles ne sabordent le constat dressé de notre société. La métaphore substantielle est alors exploitée jusqu'à la fibre. Toute de même, le texte tombe par moment dans de fragiles extrapolations, il ne faudrait pas oublier pas qu'à trop tirer sur le papier, celui-ci risquerait de se déchirer.

Un humour en carton ?

En ce qui concerne la mise en scène, on se questionne un peu sur les choix. Les raccourcis historiques ou les résumés vestimentaires sont parfois surprenants, même si l'impertinence du traitement fait à l'Histoire prête à sourire. Sur l'humour, on regrette certains gags grossiers, à la limite de l'inconvenance. En effet, le collectif nous a habitués à rire de choses plus subtiles quer les odeurs corporelles ou les mésaventures rectales. Néanmoins la fougue et la générosité des comédiens rattrapent ces égarements potaches du texte et ajoutent une note comique appréciable. A ce titre-là nous tenons à souligner la souplesse du jeu minaudier d'Elisa Bernard, elle donne là un large crédit à ses personnages.

Le Festin des Idiots signe ici une nouvelle création amusante qui a le mérite de porter un œil original sur l'humain. Si le spectacle est freiné par des moyens modestes et quelques maladresses, il reste une jolie promesse théâtrale.



« Dieu dit : Que la lumière soit ! Et la lumière fut »

Boum ! On passe du mot à la réalité. La parole performative est ce « sésame » qui fait bouger les pierres. Au fond si l'on peut être sûr de l'existence d'un Big Bang, c'est bien celui du langage. Dès l'ouverture de la pièce, pour contrer les attaques barbares de l'ennemi envahisseur, la reine proclame, grâce à l'invention du papier et de l'écriture, la naissance du Royaume de Papyrus. Du néant est née leur réalité.

Par la lumière qu'il projette sur le monde, le verbe est primordialement lié à la toute-puissance : paroles divines, runes païennes, mantras et prières, souffle de l'âme… Il y a une poésie séduisante là-dedans dont je ne me lasse pas. Mais au-delà du pouvoir magique qu'on veut bien lui prêter, le mot possède une réelle force créative en étant catalyseur de nos pensées et de notre imaginaire. Finalement, en réponse au Festin des Idiots, je me dis que ce n'est pas seulement du papier qu'il faut se méfier, si le pouvoir d'évolution réside quelque part, je le placerais dans la matrice en perpétuelle effervescence de l'imaginaire, puisqu'il structure nos représentations. Ce qui irait à me faire dire : maîtriser l'imaginaire, c'est maîtriser l'homme. Bon, déjà faut-il avoir contrôle sur la plume…

Pour toute conclusion, je m'en remets à Gary qui dans Les Enchanteurs en parlant du Golem, avait saisi la portée de l'art et de la littérature : « Avec de la bonne encre sur du bon papier, et avec ta belle imagination juive, tu arriveras à créer l'homme nouveau et le monde nouveau. »


T. COPIN


Autres Articles-Allez à l'accueil

Articles Théâtr'In'GrenobleAccueil Théâtr'In'Grenoble
Téléchargez en format PDF