Papier personnel

publié le 06/06/2016

Le roi se dévoile

Théâtre
Le Roi Nu
Le 3 juin 2016
A l'Espace Culturel René Proby

La Troupe à Yvon survit au départ de ses fondateurs. Portée par Hélène Gratet, elle-même remplacée au pied levé par Jérémy Buclon depuis janvier, la compagnie a présenté Le Roi Nu du 3 au 4 juin à l'Espace Culturel René Proby. Sur un texte du dramaturge russe Evgueni Schwartz, l'équipe de neuf comédiens défend un théâtre amateur avec mérite et anime généreusement l'accueillante salle de quartier de Saint Martin d'Hères.

L'histoire regroupe trois contes d'Andersen. Un porcher amoureux de la fille de son roi fait construire un chaudron à grelot pour la séduire. L'ouvrage magique et chantonnant lui permet d'attirer les grâces de la princesse (Le Porcher amoureux). Mais le roi s'oppose à cette union et promet sa fille au despote du pays voisin. Afin de vérifier la lignée royale de sa promise, ce dernier la soumet à un test : sentir le petit pois sous les vingt-quatre matelas de sa couche. Simplissime pour la peau si sensible d'une enfant de sang noble (La Princesse au petit pois). Si le porcher déjoue son plan, le roi prétend toujours à son mariage. Deux tisserands sont alors convoqués pour lui confectionner un habit digne de l'événement. Les deux charlatans, ici le porcher et son compagnon, lui feront croire à un tissu invisible aux idiots, si bien que le roi se présentera nu devant un peuple n'osant contredire la crédulité de sa majesté (Les Habits neufs de l'empereur).

A noter, la pièce de Schwartz est une satire féroce d'Hitler. La fable, l'absurde et le burlesque permettent à l'auteur de critiquer avec véhémence l'insanité du régime totalitaire. Néanmoins la pièce sera censurée, avant la première représentation, par l'U.R.S.S. y voyant une critique trop vive de Staline.

Psychanalyse des contes de fées, par Bruno Bettelheim

Nous avions assisté le 17 mars à La Livreuse du Boucher pour lequel nous avions déjà rédigé un papier. Jérémy Buclon, auteur du texte, s'était distingué par une prose poétique et personnelle. Nous retrouvons dans la mise en scène du Roi Nu la patte du jeune artiste. En effet, la recherche genrée est à nouveau une partie importante de ce nouveau travail. Les femmes jouent des rôles masculins, tels le porcher ou le roi ; et des hommes jouent des rôles féminins, comme la cours caquetante de la princesse. L'approche est amusante et rend la distribution judicieuse et plus profonde, bien qu'on se questionne sur le changement étonnant de l'interprète de la princesse. Toujours dans cette veine intimiste, Jérémy Buclon apporte également une sexualisation du texte intéressante, donnant une relecture à la Bruno Bettelheim qui pourrait être une piste de lecture à creuser et à envisager.

Une audacieuse proposition

Toutefois, l'on regrette le choix pris sur la scénographie, assumé jusque dans le livret : « Dans notre proposition, c'est le jeu qui préside : tout est dans l'homme, l'espace est suggéré. Tout est dit, nommé, et les acteurs jouent à jouer. » Cette conception d'un théâtre conventionnel, en négation de la représentativité du genre, à certes l'intérêt d'être une bonne gymnastique pour des acteurs amateurs. Le résultat est là : de bons talents émergent ! Cependant il est dommage de faire reposer l'ensemble du spectacle sur un jeu dont les comédiens ne peuvent assumer l'entière technicité. L'exercice est trop lourd à porter, et pour eux, et pour le public. On regrette l'absence de visuel, de décor ou de tableau, histoire de compenser les faiblesses inévitables d'une compagnie d'amateurs.

Par ce parti pris, le texte de Schwartz perd de sa verve, la satire s'étouffe et l'énergie s'essouffle. Mais on salue la performance admirable de cette troupe pleine de vivacité et de volontarisme.



Il y a quelques jours j'ai été impliqué dans un débat sur la laïcité française et sur le voile… Le rapport avec le spectacle est moindre, il est même complètement artificiel, je l'admets, mais les échos des voix s'élèvent encore trop vifs dans ma tête et résonnent trop forts pour pouvoir les ignorer !

Il y a quelques jours j'ai été impliqué dans un débat sur la laïcité française et sur le voile, et bien trop vite le fond du sujet à dévier, sans que personne ne s'étonne. Dès lors, le principal argument pour une interdiction française au nom d'un Etat laïque se basait sur l'oppression de la femme. Je ne prends ici aucun parti sur l'image du voile dans l'émancipation féminine : pour certaines femmes le port du voile est un choix, pour d'autres une obligation. Le choix soit sous influence maritale, législative, religieuse ou culturelle peut être constable, mais ceci correspond à un débat essentiellement différent.

Ce glissement est d'une hypocrisie totale ! Dans notre culture les symboles d'oppressions féminines ne manquent pas : sexualisation, conditionnement et canons de beauté, mini-jupe, régime et tablier, situations socio-professionnelles, publicités et clips vidéo, etc… Et pourtant ces oppressions-là soulèvent beaucoup moins de contestations qu'un voile cachant les cheveux, m'enfin c'est sans compter les œillères posées par l'esthétisme et les habitudes occidentales.

Rappelons donc que l'interdiction du voile en France n'est pas du fait du féminisme mais bien de la laïcité. Attention à ne pas louper l'embranchement !


T. COPIN


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