Papier personnel

publié le 17/11/2016

Réouverture

Théâtre
Le Petit Bal Perdu
Par le Théâtre de la Falaise
Mise en scène de Michel Dibilio
Le 13 novembre 2016
A la salle Olivier Messiaen

Le Petit Bal Perdu reprend du service ! Alors l'on a ressorti les verres à pied de leur carton et remplit généreusement les pichets pour l'occasion. Sur les tables nappées de rouge, quelques fleurs, et près du comptoir, les musiciens, penchés sur le piano ou sur l'accordéon. Quatorze ans après la première, la compagnie du Théâtre de la Falaise ressert sa tournée. Le staff a un peu changé depuis le temps, mais le bistrot, les airs, l'atmosphère n'ont pas bougé. Tout compte fait, fort de son succès et de ses 380 représentations, Michel Dibilio remonte ce spectacle qui n'a plus rien à prouver. Après un passage du 20 au 22 octobre au Théâtre en Rond de Sassenage, le bal a levé le rideau à la salle Olivier Messiaen, du 11 au 13 novembre, avant d'y revenir du 26 novembre au 1er décembre, pour « (la der des ders) ». Enfin, on disait déjà ça à l'époque…

Dans l'arrière-pays, loin du front où la guerre des tranchées déchire les corps comme les familles, accoudé au bois poli par les verres de ce troquet de province, l'on vit au gré des lettres que l'on reçoit et de celles que l'on ne reçoit pas, au gré des rumeurs, des questions, des incompréhensions, au gré des aléas de la vie. Et en ces temps-là aussi l'on danse pour oublier. La soirée a tout du cabaret début de siècle : six acteurs-chanteurs exhument un terroir bien français de poésies, de chansons et de paillardises, au son d'une valse entêtante diluant dans le tournoiement des têtes les mots, les rires, les pleurs, les acteurs et le public.

Ludique thé dansant

Largement documenté, le spectacle reprend des témoignages variés : la lettre édifiante de l'infirmière ou les éléments de propagande, le folklore militaire ou populaire et même quelques morceaux de littérature, comme les vers d'Apollinaire, ceux chantés par Jean Ferrat, et repris ici sensiblement sur la silhouette élégante d'une passante. Pour compenser, le choix du genre vulgarise ce traitement historique. Le fond riche est ainsi rendu digeste, découpé, peut-être trop, dans cette guinguette constante aux allures de thé dansant.

La mise en scène sobre et statique expose et raconte sans fioriture, une hégémonie du texte ralentissant le dynamisme de la pièce jusqu'à le calquer sur le rythme ternaire de la musique. L'ascétisme scénographique s'avère potentiellement pesant pour un public jeune ou pas réellement concerné par le sujet, il convient alors mieux à ces derniers de s'installer aux places réservées sur le plateau afin de profiter du vin, de la musette et des invitations régulières de la troupe à venir danser sur scène.

La valse fait tourner les têtes

La structure reprend exactement la sensation tourbillonnante de la valse : multitude de têtes emportées dans la tourmente de l'accordéon, perte des repères sans distinction, masse vivante de danseurs. Effectivement les situations, les personnages, les émotions rebondissent rapidement et sans transition. Il est vite difficile pour le spectateur de cerner un objectif principal ou de saisir l'intention de l'auteur, si bien que l'on ne sait plus s'il faut rire, s'émouvoir, apprendre ou simplement écouter. Sûrement faut-il oublier là son cerveau et laisser parler ses pieds.

Au final, ce sympathique cabaret conserve plus d'attrait pour les générations avancées, mais les jeunes restent bienvenus. Même perdus dans les limbes de souvenirs ne leur appartenant pas, ils peuvent toujours se laisser aller à quelques verres de vins et battre la mesure en écoutant les échos d'une époque qu'il n'est pas vain de remémorer. Encore cinq dates à l'affiche : les 26, 27, 29, 30, novembre et le 1er décembre à la salle Olivier Messiaen



Ah, ce fameux devoir de mémoire… Encore une obligation à ajouter à la liste. On pourrait le ranger au côté du vote ! Droit malheureusement transformé en devoir depuis peu.

Le devoir de mémoire a nourri nos programmes scolaires, en le minant d'images atroces, de commentaires de texte sanglants, de projections explosives de films, de dissertations d'histoire mortels. De devoir de mémoire on est rapidement passé à devoir à la maison ou devoir sur table. Et celui-ci s'est abîmé dans le savoir.

Il y a deux semaines j'étais à Berlin. Là-bas, la terreur a marqué la terre jusqu'à en dessiner sa topographie. Les vestiges de l'horreur jalonnent la ville, et la vacuité des bombes qui écharpent, l'irrationnelle barbarie, les tranchées creusées dans les esprits, l'homme-animal, l'homme-chair, l'homme-vain, acquièrent une autre dimension. L'expérience et le ressenti valent cent fois les leçons : la mémoire émotionnelle imprime !

Aujourd'hui, l'Europe, l'économie internationale, la diplomatie sont des remparts nous protégeant de l'absurdité. Mais que se passe-t-il quand ces derniers défaillent ? L'aversion du conflit est-elle encore assez forte pour nous en préserver ?

Alors que les morts, un à un, se taisent, que l'on reconstruit sur leur tombe, il n'est jamais vain de rappeler que la guerre n'est pas l'apanage du passée. Tant sévissent encore dans l'ignorance ou dans la discrétion. L'horreur est pesante, mais l'oublier c'est l'adouber.


T. COPIN



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