Papier personnel

publié le 20/03/2016
mis à jour le 24/03/2016

Une diva sur le divan

Théâtre
La Livreuse du Boucher
Le 17 mars 2016
Au Petit 38

Une représentation très intimiste s'installe du 16 au 27 mars dans la salle pleine de charme du Petit 38. Jérémy Buclon présente son premier texte entièrement créé et interprété par lui-même, sous la direction de Florent Barret-Boisbertrand. Après des études théâtrales à Cannes puis Marseille, le jeune comédien est de retour sur ses terres d'origine. Bien qu'il continue de se produire ponctuellement dans le Sud de la France, il joue principalement à Grenoble auprès de la compagnie des Gentils, dans leur dernier spectacle, ou auprès du Festin des Idiots, avec lesquels il a produit La Livreuse du Boucher.

La pièce est un monologue exutoire d'une chanteuse d'opéra en proie à ses angoisses et à la cruauté des hommes. Puisqu'elle est née garçon, Amélia a dû conquérir son genre, définir son identité féminine et s'imposer dans un monde où le jeu des sexes est une pression sociale éreintante. La parabole du spectacle qu'elle devrait jouer ce soir, où un public impitoyable l'attend, est l'allégorie monstrueuse de ce rapport intersexuel, vicié par le désir, la peur et la séduction. L'homme y est un ogre féroce et dépendant, la femme est soumise mais fatale, et leur histoire est celle de la boucherie meurtrière qu'ils engendrent.

Jérémy Buclon nous présente une femme fatiguée de s'imposer dans ces interactions humaines qui fragilisent sa quête du genre. Par-là, il cherche à comprendre et à extérioriser cet effroi sexuel dans le rapport entre les êtres, il dissèque l'incompréhension, les conventions et le malaise, il met en relief le développement d'une paranoïa face aux images prédéfinies qu'on nous renvoie et expose le voyeurisme ambigu fruit et graine du mal-être de cette actrice. C'est un personnage intime et authentique, dont les mots personnels sont pétris d'une réalité troublante, jusqu'à dissoudre la frontière entre fiction et autobiographie.

Adaptée à la salle d'entrée du Petit 38, lieu où normalement l'on paye son billet, boit un verre, lit un bouquin en attendant l'ouverture du plateau, la mise en scène, comme une confidence, souligne cette ambiance tout en intimité. Le rapport à l'espace est intéressant, notamment dans la construction de la scène d'opéra. La salle permet également une proximité avec l'équipe, facilitant ainsi le contact et la rencontre, car le jeune comédien, simple et affable, se fait un plaisir d'expliquer sa démarche.

Les intentions du jeune auteur sont l'aboutissement d'une introspection approfondie et touchante de sincérité, néanmoins le texte, potentiellement riche, perd de son impact par un manque de structure et d'objectifs clairs. De surcroît le caractère « aux allures de diva » de cette cantatrice, comme un héritage symboliste et chargée d'un décadentisme du début XIXième, dessert la psychologie d'Amélia, le réalisme et l'actualité de ce sujet atemporel. Par conséquent, on regrette que le spectacle soit difficile d'accès car le fond recèle un questionnement humble, judicieux et chargé d'expériences, mais Jérémy Buclon est prometteur et n'a pas dit son dernier mot.



Lorsque j'étais à l'université les gender studies étaient un nouveau champ d'études dont on ne cessait de parler, comme une mode à l'approche du XXIième siècle ! Ce qui pouvait paraître des élucubrations excessives, des concepts métaphysiques indigestes, cette façon de mettre trop de mots aux mots, se révèlent une prise de conscience majeure pourtant insuffisamment diffusée.

Le genre est un des fondements sur lesquels se construit notre identité, il est donc réducteur de le borner à une appartenance sexuée, enclavée et normée par des images conventionnées que véhicule notre culture. De cette façon les mouvements féministes reniaient, dans les années 70, le patriarcat systématique en élevant la femme à l'égal de l'homme. En réponse à certaines dérives intégristes Judith Butler écrit Trouble dans le genre, Le féminisme et la subversion de l'identité et permet d'intégrer la sexualité comme composante du genre, puisque l'hégémonie hétérosexuelle continuait de séparer toujours plus la femme de l'homme. En distinguant une multiplicité des genres, comme autant de facettes d'un sexe et d'une sexualité, elle dissout ce bipartisme et au lieu de diviser la société, elle l'articule, elle l'a remembre.

Ainsi s'est construite et imposée la théorie des genres. Il faut abattre la bipolarité : homme VS femme, l'éternel combat ! Pour cela elle emprunte une approche critique et se contente d'instaurer le doute. Il n'y a pas de réponses absolues, seulement des séries de questions pertinentes et fondées afin d'ébranler ce monde compartimenté incapable d'accueillir l'identité de chacun. Les nombreuses minorités, rejetées par un tel système, retrouvent alors une place.

Nous ne parlons pas de révolution grammaticale ou biologique, il est seulement temps de reconsidérer ce qui nous définit et d'accepter ce que nous trouvions indéfinissable. Alors quand Simone de Beauvoir nous dit : « On ne naît pas femme, on le devient » tout comme on ne naît pas homme et on le deviendrait, je serais tenté de corriger par on ne naît pas femme, on en devient une. La construction de l'identité, aussi individuelle soit-elle, ne doit pas s'acheminer vers l'appartenance à un genre normé et prescrit, mais vers un l'établissement d'une personnalité intègre. Ce n'est pas le genre qui fait ce que nous sommes, mais c'est bien nous qui faisons le genre.


T. COPIN


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