Papier personnel

publié le 03/06/2016

Si j'étais né en 17 cents...

Théâtre
Ça Ira (1) Fin de Louis
Le 20 mai 2016
A la MC2

« La Révolution française est un bloc, un bloc dont on ne peut rien distraire, parce que la vérité historique ne le permet pas » s'exprimait Georges Clémenceau en 1891 pour défendre l'événement attaqué. Il est amusant de voir cette phrase, même si peu appropriée, se prêter merveilleusement bien à introduire le spectacle de Joël Pommerat, joué du 18 au 27 mai à la MC2. Le metteur en scène, trois fois récompensé à la Cérémonie des Molières cette année, ne cherche pas à critiquer ou à juger, comme s'en serait offusqué l'ancien Président du Conseil, alors député à l'Assemblée Nationale lorsqu'il prononce le discours dont est issue la citation, en revanche, en prenant le problème à l'envers, par conséquent en s'affranchissant de la « vérité historique », il retrouve l'essence de cette période à charge idéologique forte et un à un il démêle les fils qui font la trame de la Révolution Française.

Face à la faillite du royaume, Louis enjoint à ses ministres de redresser le déficit fiscal et des Etats Généraux sont réunis à Versailles. Commence ainsi un bras de fer entre les représentants du Tiers Etats, ceux deux ordres de la Noblesse et du Clergé et le pouvoir royal. Ce jeu triangulaire s'articule au milieu de forces discordantes : la reine plus royaliste que le roi, les commissions de quartiers aculées, et le fond lointain des émeutes urbaines annonçant l'orage.

Les pensées n'ont pas d'âge

Avec subtilité, Joël Pommerat a supprimé de sa représentation toutes références à l'Histoire, la déconnectant de la réalité temporelle. Si elle relève l'actualité des questions que l'on se posait il y a 200 ans, la distanciation avec le passé permet surtout de préserver l'« innocence du regard » comme il l'explique dans un entretien mené par Marion Boudier. Les acteurs en costards-cravates, le roi et la reine aux allures d'une certaine famille princière contemporaine, une journaliste espagnole sont autant d'anachronismes qui, non contents d'apporter un trait d'humour, désamorcent la reconstruction historique et laissent une place totale au discours.

Les débats républicains sont donc le champ central dans la pièce. Riches par leur diversité, ils expriment tous les points de vue : pacifiste, extrémiste, idéaliste, pragmatique, libéral, égoïste, nationaliste, etc… Mais cette densité du message n'étouffe pas, au contraire ! Grâce à la progression en escalier du discours on saisit le lent processus de création de l'engagement, des idéologies et de la Révolution. En le décortiquant le dramaturge rend le bloc, dont rien ne peut être distrait, davantage intelligible, et l'on imagine comment on est arrivé à la séparation des trois pouvoirs, à la première Constitution, à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

Drôle de leçon

Avec l'abandon total du quatrième mur, Joël Pommerat fait de la salle entière le parterre de l'Assemblée Nationale, le spectateur transporté au cœur des délibérations est propulsé dans l'événement par la machine à diluer le temps qu'est le théâtre. C'est poignant et entraînant, ça cri, s'insurge, déclame, proteste, coupe la parole, s'arrache, crache, se déchire, on se croirait un après-midi au palais Bourbon, en moins fatiguant. De cette façon, le metteur en scène rend l'ensemble ludique et interactif, le spectateur s'approprie à son rythme la réflexion en cours de développement sur le plateau. Avec cette œuvre extraordinaire, offrant un aperçu de la construction de notre état politique Joël Pommerat nous pousse à raisonner sur la politique elle-même, d'hier comme d'aujourd'hui.



Et, si j'étais né en 1700 ? Est-ce par un égocentrisme mégalomane ou par une culpabilité susceptible que je me sens visé par ce spectacle, critiqué dans mon engagement ? Eux l'ont fait, mais moi ? Ça fleure bon le mouvement Nuit Debout toujours devant le paquebot ce jour-là. Et je me dis cyniquement qu'il y a quand même peu de chance de voir la population habituelle de la MC2 s'asseoir dans l'herbe écrasée sous des campements de fortune ! Une révolution est donc devenue impossible ?

Je doute de l'impact d'un discours comme celui de la députée Lefranc, admirablement jouée par Saadia Bentaïeb dans la pièce, ayant des convictions allant jusqu'à absoudre un peuple les mains sales de sang. La Révolution est dépendante de la situation : 97% des français formaient le Tiers Etats. Aujourd'hui les inégalités sont plus équilibrées, les privilèges répartis. Cette équité précaire donne davantage à perdre, modère les opinions et implique d'autres perspectives.

En recherchant la génétique de l'engagement, la pièce a le mérite de montrer que la Révolution n'est pas un coup d'état, mais un ensemble de strates. La masse des gouttes d'eau de l'océan en somme ! C'est pourquoi l'engouement révolutionnaire n'est pas tant la question, l'important est de comprendre que l'évolution est communautaire. Puis il ne suffit pas de prendre les armes, mais de comprendre quelles sont-elles ! La plume comme un canon, toute action est politique.

Alors que j'écris sur sa personne, j'apprends que Joël Pommerat s'est exprimé dans Libération sur la politique culturelle de Grenoble, une prise de parole bien argumentée pour quelqu'un qui ne vit pas sur place. Si la critique prête à réfléchir, elle a surtout le mérite de nationaliser le débat culturel, qui, je pense, n'a pas intérêt à se cantonner à une simple localité.


T. COPIN


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